Soutenir la sécurité alimentaire dans le Grand Nord : projets communautaires d’agriculture sous serre au Nunavik et au Nunavut

Résumé

Face aux grands défis de la sécurité alimentaire dans les villages du Nunavik et du Nunavut, le développement d’une agriculture nordique est envisagé comme une solution innovante. Visant la santé et le bien-être des communautés inuit, l’implantation d’une serre communautaire permet d’accroître l’offre en produits frais locaux et d’améliorer la qualité de l’alimentation, dans une démarche durable tenant compte de la dimension culturelle de la sécurité alimentaire. Cet article décrit les projets de serres communautaires de Kuujjuaq (Nunavik) et d’Iqaluit (Nunavut), ainsi que l’actuelle étude de faisabilité d’un projet de serre communautaire à Kangiqsujuaq (Nunavik). Nous présentons d’abord notre méthodologie qui repose sur les principes de la recherche participative basée dans la communauté. Nous nous penchons ensuite sur les principaux axes du projet de recherche : la contribution d’un projet de serre à la sécurité et à la souveraineté alimentaires et les défis techniques et organisationnels à relever pour l’optimisation d’une serre en contexte nordique. La démarche employée dans ce projet interdisciplinaire permet de construire, avec la communauté, un système d’approvisionnement local et durable et de comprendre la contribution d’un projet horticole à l’amélioration de la qualité de vie et de la santé des habitants.

 

Différentes étapes d’une recherche-action participative sur l’agriculture circumpolaire

En 2009, la première étape du projet d’Avard a consisté à étudier l’acceptabilité sociale de projets de serres au Nunavik pour répondre à la problématique de la sécurité alimentaire mais aussi à quelques défis de nature socioéconomique (comme par exemple l’important taux de décrochage scolaire et la forte incidence du chômage). Ce travail, basé sur des entretiens et questionnaires, s’est soldé par un intérêt marqué du village de Kuujjuaq pour accueillir un projet-pilote sous la forme de petits projets horticoles en serre. Une première serre (photos 1 et 2), construite dans les années 1990 dans le cadre d’un projet de verdissement de la ville, restait utilisée par quelques jardiniers autonomes. Des consultations publiques organisées à Kuujjuaq en 2010 ont permis de présenter les résultats de l’étude préliminaire, de confirmer l’intérêt de la population et de sécuriser le financement pour le lancement du projet grâce à l’appui du village nordique de Kuujjuaq, du Conseil  québécois de l’horticulture, du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ) et de l’Administration régionale Kativik (Avard 2015).

Photos 1 et 2. Extérieur et intérieur de la première
serre de Kuujjuaq (construite dans les années 1990),
en août 2017. Photos : Annie Lamalice.

C’est en 2011 qu’est lancée la phase I du projet de serre de Kuujjuaq. La chercheure doctorale est alors coordonnatrice de huit microprojets d’horticulture sous serre, tout au long de la saison de culture. En collaboration avec des volontaires locaux, le village de Kuujjuaq et  Hébergement communautaire Ungava, des initiatives sont ainsi développées : un jardin communautaire, un projet de compost, un projet «d’hortithérapie », un jardin expérimental de pommes de terre, la planification de la construction de la deuxième serre, le développement d’un programme scolaire avec la Commission scolaire Kativik et des essais hydroponiques. En parallèle, une collecte de données est organisée auprès des jardiniers de la serre pour déterminer quels légumes sont les mieux adaptés à un projet horticole en serre dans le contexte climatique de Kuujjuaq. En 2012, la phase II du projet débute. Les huit microprojets se regroupent sous l’égide du « Projet de serre de Kuujjuaq » qui connaît des avancées importantes, notamment en ce qui concerne le projet de compostage auquel se sont associés les épiceries et restaurants de Kuujjuaq, l’Administration régionale Kativik et Hébergement communautaire Ungava. Face au succès global de la démarche, la construction d’une seconde serre est engagée en 2012 (Photos 3 et 4). Les deux bâtiments, construits côte à côte légèrement en marge de la ville, ont chacun une superficie de 133 m². Les serres sont divisées en 46 lots individuels d’environ 4 m² attribués par tirage au sort aux individus ou familles intéressés à jardiner pour la saison de culture annuelle qui va généralement de mi-mai à septembre.

Photos 3 et 4. Extérieur et intérieur de la seconde
serre de Kuujjuaq (construite à partir de 2012) en
août 2017. Photos : Annie Lamalice.

Deux petites serres ont aussi été construites sur le terrain des garderies d’enfants afin de permettre aux petits de se familiariser avec le jardinage. C’est en 2013 que se termine la collecte de données à Kuujjuaq avec une série d’entretiens dont l’objectif est d’évaluer les retombées du projet. En continuité avec le travail accompli entre 2009 et 2013, un nouveau programme de recherche démarre en 2015 à Kangiqsujuaq. Ce petit village, situé à 10 km du détroit d’Hudson sur la rive sud-est de la baie de Wakeham, avait en effet manifesté le souhait de développer son propre projet de serre. Le démarrage du nouveau projet de recherche est officialisé par un état des lieux conduit durant les mois d’octobre et novembre 2015, s’appuyant sur une analyse des modes d’organisation et de fonctionnement de deux projets de serres communautaires existants à Iqaluit et à Kuujjuaq, puis sur une étude de faisabilité à Kangiqsujuaq. Ces communautés ont été retenues principalement pour la similitude des conditions bioclimatiques qu’elles présentent par rapport à Kangiqsujuaq, où le nouveau projet de serre est envisagé. Les dynamiques sociales y sont toutefois assez différentes, Iqaluit et Kuujjuaq comportant des populations plus nombreuses et aux origines ethniques plus diversifiées qu’à Kangiqsujuaq où 93 % des 690 habitants ont déclaré être Inuit lors du dernier
recensement (Statistique Canada 2014).

Contrairement à Kangiqsujuaq, les projets de serres à Kuujjuaq et à Iqaluit ont été initiés par des travailleurs provenant du Sud du Canada. Lors de ce terrain, des consultations ont été réalisées avec les bénévoles impliqués dans la gestion des projets de serres d’Iqaluit et de Kuujjuaq et des acteurs intéressés par la thématique, à la Régie régionale de la Santé et des Services sociaux, puis au sein de l’Administration régionale Kativik et du centre de recherche du Nunavik. Depuis 2007, Iqaluit est dotée d’une serre communautaire d’une superficie de 90 m² (Photos 5 et 6). Elle compte entre 70 et 80 membres qui se répartissent l’espace intérieur en cultivant dans de longs bacs de culture hors-sol durant une saison d’environ 12 semaines. Une entrevue et une visite de la serre ont été réalisées avec la chargée des communications du conseil d’administration. À Kangiqsujuaq, des rencontres avec les personnes intéressées par le développement d’un projet de serre communautaire ont été organisées afin de confirmer l’intérêt de ce village et d’étudier les différentes possibilités. Des consultations ont ainsi pu être réalisés avec le maire, le gestionnaire du village, le propriétaire d’une serre privée ainsi que des travailleuses des secteurs de la santé et de l’éducation.

Photos 5 et 6. Extérieur et intérieur de la serre
d’Iqaluit (construite en 2007) en octobre 2015.
Photos : Annie Lamalice.

Résultats

Les deux projets de recherche mènent au même constat : la perspective d’installer des serres nordiques et de développer de nouvelles stratégies agricole durables dans les communautés inuit est jugée très positive (Avard 2015). Les serres permettent de renforcer la sécurité alimentaire en contribuant à améliorer l’apport nutritionnel. Il est évident que ces données demandent à être consolidées sur plusieurs années et qu’il est nécessaire d’évaluer de manière approfondie les taux de consommation des récoltes, mais les premières estimations sont très encourageantes. Les retombées diverses sont résumées dans le tableau ci-après, ainsi que les obstacles rencontrés dans la pleine réalisation des objectifs des projets de serres de Kuujjuaq et d’Iqaluit, et les défis techniques et organisationnels à prendre en compte pour la mise en place d’un nouveau projet ailleurs au Nunavik.

Tableau récapitulatif des avantages, difficultés et pistes
d’améliorations des projets de serres nordiques.

 

 

Pour lire en entier ou citer cet article:

Lamalice, A., Avard, E., Coxam, V., Herrmann, T., Desbiens, C., Wittrant, Y., & Blangy, S. (2016). Soutenir la securite alimentaire dans le Grand Nord: Projets communautaires d’agriculture sous serre au Nunavik et au Nunavut. Etudes inuit. Inuit studies, 40(1), 147.